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Le CCUS dans la transition écologique | Le podcast #5 - Valorisation du CO2

Ep#5 - Des carburants à la chimie, comment valoriser le CO2 capté ? | Catherine Laroche et Jean Philippe Héraud (IFPEN)

Que faire du CO2 capté dans les fumées industrielles ? Nous avons vu que nous pouvions l’isoler de l’atmosphère en le stockant dans le sous-sol. Il est temps de le considérer également comme une matière première dans le cadre du « CCU » : captage et utilisation du CO2.  Aujourd’hui en France, 0,8 Mt de CO2 sont consommées par an dont 70 % par l’industrie agro-alimentaire. Des produits chimiques aux matériaux de construction, les possibilités de valorisation du CO2 sont nombreuses, avec un potentiel particulièrement important dans le domaine, encore au stade de la recherche, des carburants de synthèse. Catherine Laroche, chef de projet R&D CCU et Jean Philippe Héraud, chef de projet des biocarburants avancés à IFPEN, nous expliquent tout ceci en détail dans ce 5ème épisode.

A retenir de ce podcast

L’économie circulaire du carbone : le CO2 comme matière première

Nous avons tendance à considérer le CO2 comme un déchet. Mais la molécule de CO2 est également une matière première qui peut servir, quand elle réagit avec d’autres éléments (eau, énergie, hydrogène), à synthétiser ou fabriquer d’autres molécules. 

C’est ce qu’on appelle l’économie circulaire du carbone. Elle désigne les technologies de transformation du CO2 en produits synthétiques utiles. La valorisation du CO2 améliore d’autant plus le bilan carbone de ces produits quand celui-ci est issu d’énergie renouvelable ou décarbonée. 

Valoriser le CO2 pour produire quoi ?

  • Le CO2 peut être utilisé comme matière première et « réactif » en chimie via diverses techniques. La valorisation chimique du CO2 permet ainsi de produire des composés chimiques, des médicaments, des matériaux de construction, etc. 
     

Tous les produits n’en sont pas au même stade de développement. Parmi ceux déjà fabriqués industriellement à partir de CO2 figurent l’urée, destinée à la production d’engrais (100 millions de tonnes par an) ou de plastiques, et l’acide salicylique, utilisé comme médicament (aspirine). De nombreuses autres synthèses sont en cours d’investigation pour démontrer leur faisabilité (les acides carboxyliques, les carbonates organiques et les isocyanates, composants utilisés pour la production de plastique).
 

  • Le CO2 peut également être utilisé comme nutriment par des organismes vivants qui réalisent la photosynthèse (ex : algues). On parle de valorisation biologique
     

Selon les estimations de l’AIE, la valorisation du CO2 représente  8 % du potentiel de réduction attribué au CCUS sur la période 2020-2070.


Le CO2 peut également servir à fabriquer des carburants. Parvenir à valoriser le CO2 de cette manière pourrait favoriser sa conversion dans une plus large proportion. On estime le potentiel de cette valorisation entre 1 et 4 Gt de CO2/an. Un chiffre à mettre en perspective avec les 32 Gt de CO2 émis annuellement. 

Convertir le CO2, comment ça marche : le cas des carburants de synthèse 

Le CO2 est une molécule stable, c’est-à-dire qu’elle est difficile à faire réagir avec d’autres molécules. On fait donc appel à un procédé en deux étapes pour la transformer en carburants.

1/ Transformation du CO2 en une molécule intermédiaire plus réactive, le monoxyde de carbone (CO)

Pour valoriser le CO2 en carburant, l’approche suivie à IFPEN consiste à  transformer le CO2 en une molécule intermédiaire plus réactive, le monoxyde de carbone, CO. On forme ainsi avec de l’hydrogène, le syngaz, ou gaz de synthèse, à partir duquel sont fabriqués des carburants liquides ou gazeux. 

La réaction de conversion du CO2 en CO, nécessite de l’hydrogène et un apport en énergie. Pour cet usage, l’hydrogène est obtenu par électrolyse de l’eau qui transforme l’eau (H2O) en H2 et en oxygène (O2) (cf. glossaire). 

Pour ce faire, on utilise de l’électricité d’origine renouvelable c'est-à-dire issue d’énergie éolienne, solaire, hydraulique ou géothermique, ou une électricité d’origine nucléaire. Ainsi, l’énergie contenue dans les carburants produits à partir de CO2 provient de l’électricité. C’est la raison pour laquelle on parle d’électro-carburant ou d’e-fuel.


2/ Recombinaison du monoxyde de carbone (CO) et de l’hydrogène (H2)

Il s'agit d’obtenir des molécules d’hydrocarbures (composées de carbone C et hydrogène H) comparables au pétrole brut, ensuite converties en carburants. Cette recombinaison repose sur une réaction découverte effectuée entre l’entre-deux guerres, par deux scientifiques allemands, Franz Fischer et Hans Tropsch : la réaction de Fischer-Tropsh.

Ce procédé industriel, appliqué aujourd’hui dans l’industrie à un gaz de synthèse d’origine fossile, peut être assimilé à une réaction de polymérisation (cf. glossaire) en plusieurs étapes :

1-    l’initiation : collage de deux atomes d’hydrogène H sur un atome de carbone C ;
2-    la propagation :  accroissement de la chaîne carbonée – autrement dit du collier - permettant la formation de molécules très longues ;
3-    et la terminaison : les produits issus de la synthèse Fischer-Tropsch sont similaires à de la cire de la bougie mais non utilisables directement comme carburant pour le secteur des transports. Il faut donc les rendre conformes aux exigences attendues pour les carburants de type kérosène ou gazole. 

Pour ce faire, les chaînes des molécules sont coupées à la bonne longueur :
•    entre 10 et 13 atomes de carbone pour le kérosène
•    entre 14 et 22 atomes pour le gazole
Elles sont ensuite isomérisées (cf. glossaire), ce qui permet d’obtenir les propriétés à froid requises pour une utilisation à haute altitude pour le kérosène ou en hiver pour le gazole.

IFP Energies nouvelles a développé le procédé Fischer-Tropsch en partenariat avec Axens et eni, l’énergéticien italien à partir de la fin des années 90. Le procédé est aujourd’hui commercialisé par Axens sous le nom de Gasel®.

Réaliser le potentiel des carburants de synthèse pour décarboner les transports

Dans le cadre de la décarbonation du secteur des transports, les carburants de synthèse représentent une option particulièrement intéressante. Leur structure chimique est comparable aux carburants conventionnels avec lesquels ils peuvent donc être mélangés directement. Appelés les carburants « drop-in », ils permettent de remplacer les carburants fossiles sans avoir à changer de motorisation les infrastructures de distribution existantes.

Aujourd’hui le déploiement de la filière e-fuels est tiré par la demande sociétale et la réglementation européenne dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. C’est en effet un des principaux leviers de décarbonation du secteur aérien qui représente 15 % des émissions du secteur des transports, transport des passagers et fret. 

L’initiative européenne ReFuel EU Aviation issue du paquet réglementaire européen « Fit for 55 » visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % à l’horizon 2030 prévoit l’incorporation de carburants synthétiques à hauteur de 0.7 % dès 2030 puis 5 % en 2035. Le secteur maritime pourrait être également demandeur de ces carburants de synthèse.

Pour remplir les objectifs de 2030, les projets industriels doivent être initiés dès aujourd’hui. Si les solutions technologiques sont commercialisées ou en passe de l’être, il faudra également :
-    soutenir l’investissement de premières unités industrielles ;
-    mettre en place une réglementation stable, notamment sur l’origine du CO2 utilisé ;
-    se donner les moyens de produire de l’hydrogène via des gigafactories pour la fabrication d’électrolyseurs d’une part et un approvisionnement en électricité bas-carbone d’autre part


Pour en savoir plus :
>> Biocarburants avancés : quel avenir dans les transports ?


Glossaire 

CO2 biogénique : carbone contenu dans la matière organique du sol et dans la biomasse d'origine agricole ou forestière, émis lors de sa combustion ou dégradation
Electrolyse de l’eau : procédé qui décompose l'eau (H2O) en dioxygène et dihydrogène gazeux grâce à un courant électrique
Isomérisation : principe de transformation d'un corps chimique en une molécule organique dont la composition de base est la même, mais qui possède une formule simplifiée ou différente
Exemple : L'isomérisation du glucose en fructose
Polymérisation : processus de transformation d'un monomère (brique élémentaire de matière, souvent d’origine organique, constituée d’une seule molécule) en polymère (chaîne de plusieurs monomères, à la façon d’un collier de perles)
Réaction de Fischer-Tropsch : réduction du monoxyde de carbone (CO) par l'hydrogène (H2) pour obtenir des hydrocarbures
Syngaz : synonyme de gaz de synthèse